L’économie nationale continue de se transformer, mais le marché du travail entre 2023 et 2024 illustre des contrastes marqués entre secteurs et régions. Si la création de 82 000 postes peut sembler encourageante, une analyse plus fine révèle des déséquilibres persistants, notamment entre zones urbaines et rurales, ainsi qu’entre différentes catégories sociales. Ces dynamiques sont essentielles pour comprendre les orientations actuelles de l’emploi et les défis auxquels le pays est confronté.
Ainsi, selon les tous derniers chiffres publiés par le Haut Commissariat au Plan (HCP) sur la situation du Marché du travail, la création nette de 82 000 emplois se révèle très polarisée géographiquement. Alors que les zones urbaines bénéficient d’une hausse de 162 000 postes, les zones rurales enregistrent une perte alarmante de 80 000 emplois. Cette évolution démontre une tendance accrue à l’urbanisation de l’économie nationale, où les opportunités d’emploi se concentrent dans les métropoles.
L’emploi rémunéré a connu une progression significative de 177 000 postes, majoritairement en milieu urbain. Cette augmentation témoigne d’un développement des secteurs organisés et d’une relative amélioration des conditions d’emploi formel. A contrario, les emplois non rémunérés, souvent liés à des formes de travail précaires ou agricoles, ont chuté de 95 000 postes, principalement dans les zones rurales. Cette baisse pourrait s’expliquer par des migrations internes vers les villes et une diminution des activités agricoles, confrontées à des aléas climatiques et économiques.
Le secteur des services continue de jouer un rôle central dans la création d’emplois, avec 160 000 nouveaux postes en 2024. Cette performance repose sur plusieurs sous-branches : le commerce, avec 51 000 postes créés, confirme son importance dans le tissu économique urbain. Les services sociaux aux collectivités et les activités financières, administratives et techniques suivent, avec respectivement 44 000 et 39 000 nouveaux emplois. Cette dynamique reflète un mouvement vers la tertiarisation de l’économie, où les services deviennent progressivement le premier employeur national, employant 49,4 % des actifs occupés.
Le secteur industriel, bien que plus modeste en termes de contribution globale, affiche tout de même 46 000 créations nettes. Ce regain pourrait s’expliquer par des investissements récents dans la transformation industrielle et les nouvelles technologies. En revanche, le secteur des BTP stagne avec 13 000 postes, tandis que le secteur de l’agriculture, forêt et pêche subit un choc majeur, perdant 137 000 emplois. Ces disparités sectorielles soulignent les difficultés structurelles que rencontrent les secteurs primaires, notamment en milieu rural, face à la concurrence des activités tertiaires et industrielles en ville.
Le volume du chômage s’est alourdi avec 58 000 nouveaux chômeurs, portant le total national à 1 638 000 personnes. Le taux de chômage atteint ainsi 13,3 %, en hausse de 0,3 point par rapport à l’année précédente. Cette tendance affecte différemment les catégories de population. Les jeunes de 15 à 24 ans, les diplômés et les femmes demeurent les plus touchés, avec des taux de chômage respectifs de 36,7 %, 19,6 % et 19,4 %.
La hausse du chômage se manifeste également à travers une augmentation de la proportion des personnes en chômage récent. En 2024, 37,1 % des chômeurs étaient sans emploi depuis moins d’un an, contre 33,3 % l’année précédente. Ce renouvellement rapide du chômage reflète l’instabilité du marché de l’emploi, notamment dans les secteurs les plus fragiles. Par ailleurs, plus de la moitié des chômeurs avaient déjà une expérience professionnelle, témoignant des difficultés à maintenir les emplois existants.
Le sous-emploi progresse aussi, atteignant 1 082 000 personnes en 2024, contre 1 043 000 en 2023. Cette augmentation est particulièrement marquée dans les zones rurales, où le taux de sous-emploi passe de 11,6 % à 12,2 %. Ce phénomène est lié à des emplois précaires, caractérisés par des durées de travail insuffisantes ou des revenus inadaptés aux qualifications des travailleurs.
Les régions du pays affichent des disparités prononcées dans la répartition de l’emploi et du chômage. Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kénitra, Marrakech-Safi, Tanger-Tétouan-Al Hoceïma et Fès-Meknès concentrent 72,4 % des actifs occupés. Toutefois, les taux de chômage les plus élevés se trouvent dans les régions du Sud et de l’Oriental, où ils atteignent respectivement 22,2 % et 20,9 %. Ces déséquilibres régionaux révèlent l’urgence d’une politique plus équilibrée de développement économique, visant à réduire les écarts territoriaux.
Enfin, la couverture sociale reste un enjeu crucial. Si 46,7 % des salariés bénéficient d’une assurance médicale liée à leur emploi, ce taux varie fortement selon le secteur et le milieu de résidence. Les salariés des zones rurales sont nettement moins couverts que leurs homologues urbains. Cette disparité reflète une polarisation non seulement économique mais aussi sociale, nécessitant une amélioration des protections sociales pour les travailleurs les plus vulnérables.
Face à ces constats, les perspectives pour le marché de l’emploi demeurent incertaines. Une relance économique inclusive devra s’appuyer sur des politiques ciblées favorisant l’emploi rural, la réduction du chômage des jeunes et l’amélioration de la qualité des emplois. Les prochaines années seront décisives pour consolider les acquis et relever ces défis structurels.