La croissance du cash en circulation connaît une accélération notable, suscitant des préoccupations quant à ses effets sur l’économie nationale. Cette tendance entraîne des défis significatifs, notamment l’augmentation du risque de fraude et de blanchiment de capitaux, ainsi qu’une prévalence accrue de l’économie informelle.
D’après les récentes statistiques monétaires de Bank Al-Maghrib (BAM), la masse monétaire a marqué une progression annuelle de 4,3% en mai 2024, principalement due à l’accélération de la croissance de la monnaie fiduciaire, qui a atteint 10,2% après 8,5% le mois précédent.
D’autres facteurs à l’origine de cette évolution incluent, selon BAM, l’atténuation de la baisse des comptes à terme de 6,8% à 4,5%, le ralentissement de la croissance des dépôts à vue de 7,9% à 6,9% et l’accentuation du repli des détentions en titres d’OPCVM monétaires de 12,5% à 18,5%.
Cette hausse alarmante du cash en circulation a aussi été mise en avant par le Wali de BAM, Abdellatif Jouahri, qui avait souligné, lors du point de presse tenu à l’issue de la 2e réunion trimestrielle du Conseil de la Banque pour l’année 2024, que le niveau du cash en circulation au Maroc a atteint l’un des taux les plus élevés au monde, soit environ 30% du PIB.
Et de soutenir que le cash demeure la principale voie de financement du blanchiment des capitaux et du terrorisme, en raison de l’absence de traçabilité et de l’anonymat qu’il procure.
M. Jouahri a aussi estimé que l’introduction de la future monnaie digitale, e-dirham, va certainement contribuer à juguler la circulation du cash qui reste liée à un problème d’éducation ainsi qu’à la présence de l’informel dans l’économie.
Cash supplémentaire dans le circuit : des causes et des effets
De l’avis de Zakaria Garti, analyste économique et financier, ce phénomène est dû à plusieurs facteurs, dont principalement les injections de liquidités sous forme de subventions et les retraits de dépôts par les citoyens durant la période de Covid-19.
“Le volume des transactions en cash s’est développé avec un taux annuel qui dépasse à peu près 8% en moyenne”, indique M. Garti dans une déclaration à la MAP.
“Le cash en circulation est passé d’environ 65 milliards de dirhams (MMDH) à 270 MMDH en février 2020. Avec la pandémie, il a franchi le cap des 340 MMDH en quelques mois, augmentant de 70 MMDH supplémentaires. Cette hausse a persisté même après la crise sanitaire du Covid-19, atteignant aujourd’hui environ 400 MMDH”, précise l’expert.
Il relève, dans ce sens, que cette tendance s’est poursuivie pour plusieurs raisons, dont la croissance du nombre de touristes utilisant l’argent cash et les transferts des Marocains résidant à l’étranger ayant atteint un niveau record.
A ce titre, l’analyste cite une étude menée par des chercheurs de BAM qui montre que le cash n’est pas uniquement injecté dans l’économie, mais est en grande partie thésaurisé, relevant qu’environ 70% de la monnaie fiduciaire est non transactionnelle, et que l’inventaire des billets en circulation indique que le billet de 200 dirhams représente plus de 70% du cash en circulation aujourd’hui, contre seulement 47% à 50% au début du siècle.
S’agissant des conséquences économiques, M. Garti explique que cette thésaurisation prive l’économie de financement, ce qui se traduit par un déficit de liquidité bancaire de plus en plus important.
L’inclusion financière, une clé de voûte
Pour lutter contre la hausse du cash en circulation, il faudrait encourager davantage l’inclusion financière, affirme M. Garti, ajoutant que plusieurs mesures peuvent être envisagées, dont l’encouragement du mobile banking.
“Le Maroc dispose de ce système depuis 2018, mais son usage demeure faible. Le nombre de portefeuilles ne dépasse pas 8 à 9 millions, avec des transactions aux alentours de 2 MMDH, principalement en raison des craintes de plusieurs acteurs du secteur informel concernant les révisions fiscales”, selon le spécialiste.
Il incombe ainsi à l’État de diminuer le coût supporté par les commerçants pour encourager le mobile banking, fait-il remarquer.
De son côté, l’économiste et spécialiste en politique de change, Omar Bakkou, souligne l’importance de mettre en place un programme ambitieux visant à favoriser la bancarisation de l’économie afin de réduire le volume de cash en circulation.
“Il est également essentiel d’améliorer la transparence des entreprises, qui est liée à la gouvernance, notamment fiscale. Cela inclut la politique fiscale, ainsi que les aspects réglementaires et leur application”, poursuit-il, expliquant qu’une certaine sécurité juridique, notamment dans le domaine fiscal, est nécessaire pour garantir un système juste et équitable.
Concernant l’aspect culturel, M. Bakkou insiste sur l’importance de l’éducation financière, notant que des initiatives telles que le développement du mobile banking sont cruciales.
Alors que la progression rapide du cash en circulation au Maroc pose des défis significatifs pour l’économie nationale, les efforts visant à promouvoir l’inclusion financière et à développer les moyens de paiement modernes semblent essentiels pour atténuer ces préoccupations, et le renforcement de l’éducation financière demeure un levier important pour encourager le recours aux solutions de paiement alternatives.