Mostafa Terrab partage son expérience depuis Boston, Massachusetts, en décrivant la transformation de l’Office Chérifien du Phosphate (OCP) d’une société d’extraction de roches en un important producteur d’engrais.
Dans une interview accordée à la chaîne de Harvard Business School pour l’émission « Creating Emerging Markets », le PDG du géant OCP, Mostafa Terrab explique comment l’entreprise, en l’espace de quelques années, est passée d’une production de 2-3 à 12 millions de tonnes d’engrais par an.
Répondant à la question de Geoffrey Jones sur sa nomination à la tête du Groupe OCP en 2006, Mostafa Terrab précise : « J’ai été nommé parce qu’il y avait des points d’interrogation – le gouvernement s’interrogeait sur la situation de l’OCP. À l’époque, l’OCP était une entreprise déficitaire. En fait, ce n’était pas une entreprise. C’était une société parapublique, et le O signifiait “office”. Mais elle avait connu une situation financière difficile au cours des années précédentes, ce qui n’était pas en rapport avec l’importance des réserves de phosphate au Maroc ».
« La question se posait de savoir pourquoi il en était ainsi. Sachant que j’étais un peu un homme de défis, ou peut-être un peu fou d’accepter des défis, ils m’ont demandé d’examiner la situation et de dire si j’étais prêt à essayer de résoudre le problème. C’est un défi qu’ils savaient que je ne pouvais pas refuser », poursuit le PDG.
Terrab fait savoir que l’activité principale du Groupe consistait, à l’époque, à vendre le minerai, ou ce qu’on appelle la roche phosphatée, sauf que ce n’était pas rentable, car le prix du phosphate était resté très stable, même en dollars nominaux, pendant 30 ans.
« Comme vous pouvez l’imaginer, les coûts n’étaient pas stables. Nous étions dans une activité où notre principal produit diminuait en termes de dollars réels. Les coûts augmentaient et c’est ce qui a entraîné les pertes annuelles de l’entreprise », a-t-il dévoilé.
C’est en effet une stratégie qui devait être mise en place. « Nous avons décidé que la seule solution était d’ajouter de la valeur à la roche phosphatée dans le pays, en produisant divers produits finis à partir de cette roche. Le reste appartient à l’histoire, car nous avons pu investir massivement dans la production d’engrais et sortir l’entreprise de sa situation assez rapidement », souligne Terrab.
De 2006 à 2015, l’OCP a embauché massivement, mais il s’agissait de jeunes, de personnes non expérimentées, et a décidé de mettre en place un système de formation massive, de la formation des cadres à la formation technique. « Nous avons investi massivement dans la formation, à tel point que nous avons même créé une université pour avoir la capacité de former ces jeunes gens en interne », note le PDG.
Terrab identifie l’état d’esprit comme principal défi. « Notre activité principale a complètement changé en quelques années, passant d’un producteur et vendeur de roches à un producteur et vendeur d’engrais. Si votre activité principale change aussi rapidement et aussi massivement, nous devons nous assurer que l’état d’esprit et la culture sont différents ».
Pour le PDG du géant OCP, l’état d’esprit et la culture d’une entreprise dont l’activité principale est la nutrition des plantes sont différents de ceux d’une entreprise minière ou purement industrielle. L’entreprise, ajoute-t-il, devait être plus proche de l’agriculteur et plus proches du secteur agricole.
« Nous avons créé ce que nous appelons un mouvement. Après avoir embauché quelques milliers de jeunes gens – bien formés, mais sans expérience – nous nous sommes rendu compte qu’ils comprenaient très bien notre objectif principal et notre stratégie », a-t-il avancé.
Quant à l’attention portée par OCP à l’Afrique, le Groupe s’est engagé à répondre à la totalité de la demande africaine en cas de besoin, un engagement qui a impliqué des dons ciblés d’engrais personnalisés dans une vingtaine de pays, mais aussi une vision stratégique et bénéfique pour le continent.
« En ce qui concerne les engrais, nous avons examiné la question sous le même angle et nous avons dit que l’opportunité n’était pas d’apporter des engrais standard en Afrique, mais de fabriquer des engrais adaptés à la plante et au sol dans les conditions africaines », explique Terrab.
« Nous avons pris le pari de dire que le marché africain des engrais n’allait pas ressembler aux autres, de la même manière que le mobile était plus adapté aux conditions africaines. Adaptons nos produits à la situation des pays africains dans lesquels nous opérons, c’est-à-dire à peu près toute l’Afrique, soit environ 40 pays. Nous avons décidé de ne pas apporter d’engrais standard, mais de fabriquer des engrais sur mesure, pour ainsi dire, ou adaptés, personnalisés pour le sol et la plante », poursuit le responsable.
Sur la question du Sahara et des ressources en phosphate, Terrab clarifie : « Je veux mettre les choses en perspective parce que si vous regardez malheureusement la littérature, même un livre récent écrit sur le phosphate, la plupart des documents prétendent que la majorité des réserves de phosphate du Maroc se trouvent dans le Sahara marocain, les régions du sud. Ce n’est pas le cas ».
Selon le PDG d’OCP, celui-ci ne représente que 2 % des réserves. Les principaux gisements de phosphate se trouvent dans le nord du Maroc. « Ce n’est même pas notre chiffre. Il s’agit d’un chiffre de l’US Geological Survey (USGS) et de l’International Fertilizer Development Center (IFDC). De nombreuses institutions ont ce chiffre de 2 % », a-t-il souligné.
Pour rappel, l’OCP est aujourd’hui l’un des plus gros contributeurs à l’économie nationale. En décembre dernier, le Groupe avait annoncé un vaste programme d’investissement dans les énergies renouvelables et le dessalement de l’eau de mer, doté d’un budget de 130 milliards de dirhams.