Le rapport annuel de la Cour des comptes pour 2023-2024, publié au Bulletin officiel (n°7360 bis), dévoile un diagnostic approfondi de la gestion des finances publiques marocaines. Ce document, structuré en trois parties, met en lumière l’étendue des missions juridictionnelles, les performances des politiques publiques et les activités de soutien. Il ne se limite pas à un bilan technique, mais offre une analyse des défis structurels qui persistent dans l’administration publique et la gestion des fonds publics.
Une vigilance accrue sur les comptes publics : près de 4 000 arrêts rendus
Au cœur des missions juridictionnelles, la vérification et le jugement des comptes constituent une activité essentielle. Durant la période 2023-2024, les juridictions financières ont rendu 3 951 arrêts et jugements, dont 3 190 arrêts de décharge et 761 arrêts de mise en débet. Ces derniers concernent un montant total de 54,9 millions de dirhams.
Par ailleurs, un montant de 28,2 millions de dirhams a été récupéré avant même le prononcé des jugements définitifs, témoignant de l’effet dissuasif des observations préliminaires. Toutefois, des infractions graves ont été relevées, notamment l’absence de diligences dans le recouvrement des recettes publiques (89 % des infractions) ou des erreurs dans la vérification des dépenses (11 %). Ces dysfonctionnements appellent une révision urgente des procédures de contrôle et du régime de responsabilité des comptables publics.
En matière de discipline budgétaire et financière, les juridictions ont émis 86 arrêts et jugements, dont 62 accompagnés d’amendes s’élevant à 5,1 millions de dirhams, et des remboursements totalisant 9,15 millions de dirhams. En outre, 24 cas ont été acquittés, mettant en évidence une amélioration partielle du respect des règles budgétaires.
Le rapport mentionne également 16 dossiers transmis par le Procureur Général du Roi près la Cour des comptes au Procureur Général du Roi près la Cour de cassation. Ces dossiers, contenant des présomptions à caractère pénal, illustrent l’engagement des juridictions financières à renforcer la lutte contre les pratiques illicites.
Les déclarations de patrimoine requièrent davantage de transparence
Depuis l’introduction de la déclaration obligatoire de patrimoine en 2010, le total cumulé s’élève à 462 826 déclarations. Pour la période 2023-2024, 15 876 nouvelles déclarations ont été enregistrées, dont 89 % émanant de fonctionnaires et agents publics. Cependant, les taux de régularisation après mise en demeure restent faibles : seuls 340 assujettis ont régularisé leur situation, soit un taux de 20 %.
Face à ces insuffisances, une étude évaluative a révélé la nécessité de mettre en place un système électronique intégré pour la réception et le contrôle des déclarations. La Cour recommande également une refonte du cadre juridique et l’introduction de sanctions progressives pour améliorer l’efficacité de ce dispositif.
Partis politiques et campagnes électorales : des fonds publics sous contrôle
Le financement des partis politiques continue de faire l’objet d’une surveillance rigoureuse. Pour l’exercice 2022, la restitution de 38,4 millions de dirhams de subventions non justifiées a été exigée. Malgré cela, un montant de 22 millions de dirhams reste à restituer. Par ailleurs, 495 candidats aux élections de 2021 n’ont pas déposé leurs comptes de campagne, exposant ces derniers à des sanctions pouvant inclure leur inéligibilité pour deux mandats successifs.
Ces chiffres mettent en lumière une gestion souvent défaillante des fonds publics dans le cadre électoral, mais ils reflètent également une volonté croissante d’imposer des mécanismes de reddition des comptes.
Réformes structurelles : des avancées « freinées »
Le suivi des grandes réformes nationales constitue un point névralgique du rapport. Parmi les secteurs évalués figurent l’eau, la régionalisation avancée, la protection sociale et la réforme fiscale. Si des progrès notables sont observés, la Cour insiste sur l’urgence d’accélérer la mise en œuvre, en particulier dans la stratégie énergétique nationale 2009-2030, où l’absence d’un cadre incitatif pour l’efficacité énergétique freine les ambitions.
Les missions d’évaluation réalisées dans des secteurs tels que la lutte contre l’analphabétisme ou les infrastructures judiciaires soulignent des résultats mitigés. La coordination intersectorielle et les contraintes budgétaires figurent parmi les principaux freins à l’efficacité des politiques publiques.
Un impact mesuré des recommandations
La Cour des comptes a émis 4 577 recommandations durant la période 2023-2024, dont 44 % ont été totalement appliquées et 37 % partiellement mises en œuvre, tandis que 19 % restent non exécutées. Les recommandations entièrement appliquées ont généré des impacts positifs dans la gouvernance territoriale, la gestion des recettes publiques et les services rendus aux citoyens.
Cependant, l’inertie administrative et le manque de moyens humains et financiers freinent l’exécution des réformes stratégiques. Des textes législatifs ou réglementaires nécessaires restent également en attente, limitant ainsi les avancées dans des chantiers clés.
Les juridictions financières en mutation
Le rapport met également en exergue les efforts de modernisation des juridictions financières. La transformation numérique, le développement des compétences et les partenariats internationaux figurent parmi les priorités. Les activités de coopération internationale, tant bilatérales que multilatérales, renforcent le rôle de la Cour en tant qu’acteur influent dans les réseaux de contrôle public.